Nous sommes dans un monde de vingt Dieux qui vivent autour de Sul, l’être suprême. Vingt Dieux pour vingt facettes de la Vérité. Nous sommes dans le monde immatériel des immortels où vivent les anges-gardiens de Promenthas, les djinns de Akhran et le terrible éfrit de Quar qui chacun communiquent la volonté de leur Dieu aux mortels. Nous sommes au pays des cavaliers du désert, des longues méharées de chameaux et des éleveurs de moutons, des émirs guerriers et de l’imam fanatique. C’est le pays de Kardhan et Zohra, Prince et Princesse de leurs peuples, ennemis ancestraux.
Vous l’aurez compris, la plume de Margaret Weis et Tracy Hickman — connus entre autres romans pour leurs cycles de Lancedragon — nous emmène en Orient dans les traces des hommes du désert. Dans ce premier tome de la trilogie La Rose du Prophète, le royaume des Dieux se déchire. Akhran, Dieu de la liberté est le seul à s’opposer à Quar qu’il soupçonne de vouloir faire basculer l’Equilibre de Sul en sa faveur. Il convoque alors deux de ses immortels et leur confie deux missions : retrouver les immortels disparus pour rétablir le Cycle de la Foi et réussir le mariage de Zohra et Kardhan dont les peuples se vouent une haine ancestrale. En quoi ce mariage si improbable peut-il influer sur le royaume des Dieux ? Pourtant le désir du Dieu errant est clair : bergers et cavaliers devront cohabiter jusqu’à la floraison de la rose du Prophète sur le Tel ou périr. Zohra, la princesse qui voulait naître mâle et guider son peuple de bergers et Kardhan, le combattant célébré pour ses razzias des autres tribus seront accompagnés dans leur tâche par un étranger, un jeune homme venu de l’autre côté de l’océan, Mathew, magicien et disciple de Promenthas.
Si chaque Dieu a nécessairement 3 facettes pour former à vingt1, la Vérité de Sul, on ne peut s’empêcher de rapprocher le culte de Promenthas — Dieu de la Bonté, de la Charité et le la Foi — au Christianisme. Ses cathédrales blanches, sa hiérarchie subtile d’immortels de l’ange gardien — comme Asrial dont tome amoureux Pukah, le djinn d’Akhran — aux séraphins en passant par les archange et les chérubins nous évoquent forcément Notre Dame, les saints du calendrier et l’Ange Gabriel.
Pourtant, assimiler Quar à Allah serait un peu trop caricatural — et on sait comment les caricatures sont perçues par une partie des musulmans — ; je ne m’y aventurerai pas. L’opposition de Akhran et Quar est plus subtile que cela. Les deux sont représentés comme des Dieux extrêmement intelligents mais aussi rudes et barbares sur certains aspects. A son image, les fidèles d’Akhran vivent dans un pays rude et demandeur, qui ne laisse rien au hasard. Les plus forts y survivront, les autres devront périr. Pourtant, le vent qui souffle en permanence et sculpte de superbes œuvres éphémères apporte la liberté à chaque brise. Suivre ou non la voie d’Akhran — Dieu de la Foi, du Chaos et de l’Impatience — dans chaque geste de la vie est du ressort de chacun.
– Donc […] votre Dieu vous donne des ordres et vous obéissez ?
– Oui.
– Par conséquent, vous n’êtes pas véritablement libres.
– Nous sommes libres de désobéir, souligna Khardan dans un haussement d’épaules.
– Quelle est la punition de la désobéissance ?
– La mort.
– Et quelle est la récompense pour une vie vertueuse ?
– La mort.
Dans ce roman, contrairement à Promenthas, qui prise la liberté de pensé et les discussions philosophiques, Quar — Dieu de la Réalité, de la Cupidité et de la Loi — est présenté comme un Dieu fanatique qui cherche à renverser l’équilibre pour dominer les autres Dieux. Pour cela, il confie à ses imams la conversion des peuples et à ses émirs la mort des infidèles. Ainsi la ville de Kich, fer de lance de la foi de Quar, s’apprête à fondre par surprise sur les peuples nomades du sud pour l’heure préoccupé de leur lutte fratricide.
La rivalité ancestrale des peuples dont les intérêts divergent est un thème récurrent dans les romans orientaux. Les cavaliers de Kardhan vivent de l’élevage de leur superbes étalons et des razzias sur les peuples de bergers, emportants les moutons volés. La méharée de son cousin Zeid est une armée redoutable dans le désert, mais aussi une caravane marchande riche. Quand à Zohra, son peuple vit depuis toujours de l’élevage des moutons. L’originalité vient du fait que dans le monde de Weiss et Hickman, seules les femmes sont dépositaires du savoir magique. Elles seules peuvent calmer les chevaux par des amulettes lors des tempêtes et protéger les enfants de charmes.
Ce peuple de barbare parait à Mathew, le magicien, plus civilisé que son pays d’origine en ce qui concerne le traitement des fous. Dans le désert, on considère qu’un fou à vu la face du Dieu et que l’éblouissement provoqué lui oté la raison. Il n’est donc pas chassé ou mis au ban de la société, mais au contraire protégé par sa tribu. De l’autre côté de l’océan, chez Mathew, les fous sont enfermés et privés de leurs droits.
Ce premier tome est une réussite. La traduction de Valérie Dayre est excellente et on ne perd pas trop à lire en français. L’intrigue — les multiples intrigues, en fait — sont bien ficelées sans imposer un rythme monotone par chapitre. Les personnages sont tous très emblématiques et souvent très attachants par leurs qualités. Cela vient peut-être de l’univers de jeu de rôle dont sont issus les auteurs, habitués sans doute à dépeindre les caractéristiques d’un personnage de manière à la fois précise et concise. Les caractères s’affinent au fil des pages et on a hâte de retrouver Zohra, Kardhan, Mathew, Sond, Pukah et Asrial dans le tome 2 : Le paladin de la nuit.
La Rose du Prophète, tome 1 : Le désir du dieu errant
Rose of the Prophet, book 1: Will of the Wanderer
Margaret Weis & Tracy Hickman
| 1989
Pocket | ISBN 2-266-00893-5
- C’est sans doute là un clin d’œil au monde des rollistes d’où sont issus les auteurs puisque le Joyau de Sul (à vingt faces) n’est pas sans rappeler le dé 20, très utilisé dans Donjons et Dragons. ↩
Quelque chose à dire ?